Frères et soeurs, les plus anciens parmi les saintannois se rappellent des évènements
qui ont marqué le « village de Ste Anne en Pluneret » il y a exactement 75 ans. Les
pères Joseph Le Barh, premier recteur de la paroisse, et Louis Allanic, économe au
petit séminaire et conseiller municipal de Pluneret, ont été lâchement fusillés, alors
que MM. Stanilas Le Louer et Xavier Brianceau ont été littéralement massacrés et
Mme Augustine Guegant, venant de Lorient, réfugiée rue de la Fontaine, a, dans la
confusion, reçu dans le dos une balle perdue… Des paroissiens ont alors retrouvé sur
le bureau de leur recteur un petit billet très émouvant qui éclaire de façon étonnante
les textes de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre : « Le bon Dieu est trop
bon, le ciel est trop beau, la vie est trop courte pour se contenter de médiocrité… ».
Vus les évènements, ces paroles de votre recteur assassiné prennent un sens tout
particulier, et c’est dans cet horizon de sens que nous sommes, aujourd’hui, invités à
accueillir la Parole de Dieu…
« Vanité des vanités, tout est vanité ! » disait Qohèleth. N’avons-nous pas ces
sentiments face à un monde de violence hier le nazisme ou le marxisme léninisme,
aujourd’hui des extrémismes religieux qui nous obligent à vivre le Grand Pardon
protégé par des forces de sécurité de la Gendarmerie et de l’opération sentinelles que
nous remercions pour leur présence les 25 et 26 juillet. Cette violence serait-elle le
grand vainqueur ? Dans notre quotidien, c’est bien notre réaction face à des situations
difficiles. Combien sont fatigués d’une vie sans horizon, violente, pris parfois dans la
haine de l’autre différent, qui en perdant le sens de l’homme a perdu le sens de Dieu
Homme désabusé, perdu, sans le vrai Dieu de miséricorde… Nous voyons bien que
notre société consumériste ne fait qu’accentuer ce vide existentiel de beaucoup de nos
contemporains, et qui, parmi des chrétiens identitaires, donne parfois des réactions
opposées extrémistes et aussi violentes. Les autres textes de l’Ecriture que nous
venons d’entendre nous dise un chemin, le Chemin, pour combler ce vide existentiel
de l’homme, si nous voulons bien accueillir la Parole de Dieu…
« Ainsi, il n’y a plus le païen et le juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le
barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et
en tous ». Frères et soeurs, nous sommes là au coeur du vivre-ensemble chrétien. Nous
avons chacun nos cultures, nos histoires, nos habitudes, notre âge, nos sensibilités,
mais nous croyons que notre foi en Dieu, et précisément, pour nous chrétiens, notre
foi dans le Christ miséri-cordieux vient instaurer une forme renouvelée de vivreensemble
: nous sommes fonda-mentalement frères. Notre Fraternité républicaine a
des fondements sûrs dans l’Evangile.
N’est-ce pas cela que nous dit l’Evangile aujourd’hui ? A quoi cela sert-il d’être riche
en ce monde, si nous ne sommes pas riches en vue de Dieu ? Et je le redis, je crois
profondément que ce qui manque à ces hommes, d’hier ou d’aujourd’hui, tentés par la
violence c’est un idéal de vie et un sens spirituel que notre société consumériste ne
sait pas donner. Hier, ils étaient éblouis par une idéologie néo-païenne, aujourd’hui ils
sont tentés par des courants religieux rigides qui défigurent l’image même notre Dieu
miséricordieux. Cela n’est qu’une perversion d’une aspiration fondamentale du coeur
de l’homme qui a besoin de spirituel. Saurons-nous par l’éducation, la culture et une
ouverture spirituelle leur donner cette dimension vitale ? Là sont les vraies richesses
« en vue de Dieu » comme nous dit Jésus. Voilà un défit que nous avons à relever
avec tous les hommes et toutes les femmes de bonnes volontés, païen ou juif, croyant
ou non, esclave ou homme libre… « Le bon Dieu est trop bon, le ciel est trop beau, la
vie est trop courte pour se contenter de médiocrité… » Écrivait le Père Joseph Le
Barh. P. Gwenaël Maurey
Devant la plaque du mémorial après la messe
« Le bon Dieu est trop bon, le ciel est trop beau, la vie est trop courte pour se
contenter de médiocrité… » J’avoue que depuis que j’ai pris connaissance de ce
petit billet laissé par mon prédécesseur, Joseph Le Barh, le premier recteur de
Ste Anne, je ne cesse de le ruminer. Beaucoup me reprocheront sans doute de
trop parler de moi, mais je ne peux venir en ce lieu de mémoire sans penser à
mon grand père. Très jeune, il avait fait Verdun. Il n’en parlait jamais,
traumatisé par ce qu’il avait vécu. Par respect pour lui, nous n’en parlions
jamais. Et je sais que ce fut terrible lorsqu’en janvier février 43, il vit sa ville de
Lorient détruite à plus de 80%. Ce fut terrible lorsqu’il vit son église paroissiale
de Ste Anne d’Arvor bruler sous ses yeux. Mon père avait alors vingt ans, il était
élève au séminaire de Ste Anne. En 1944, menacé avec ses condisciples d’être
envoyés en Allemagne pour le STO, leurs professeurs leur ont demandé de
prendre le maquis. Très pudique sur ce qu’il avait vécu, il ne nous parlait que
très peu de ces évènements tragiques. Nous savions simplement qu’il avait fait
la bataille de Ste Hélène comme infirmier. A sa mort, j’ai découvert dans ses
papiers sa carte d’ancien combattant, et j’ai mis avec beaucoup d’émotion sur
son cercueil le drapeau français. Dans la maison familiale, il y a encore un
meuble que nous appelons le « meuble de réfugiés »… Ces souvenirs de famille
beaucoup d’entre nous en ont, d’une manière ou d’une autre. Lorsque nous
voyons aujourd’hui que des idéologies extrémistes prennent à nouveau la parole
avec un mépris de l’être humain s’il n’a pas la même culture, la même couleur
de peau ou la même religion, alors oui j’ai peur, j’ai peur pour notre avenir, pour
cette Humanité que nous voudrions, au nom de l’Evangile, fraternelle et
respectueuse de tout être humain. Et je pense que, concrètement, si je suis vivant
aujourd’hui, c’est parce que des hommes comme Joseph Le Barh et Louis
Allanic sont morts pour la France. Prêtres ils l’ont été, fidèlement, liés aux
communautés qui leur étaient confiés, dans des circonstances tragiques, et je ne
sais pas si dans de telles circonstances, j’aurai eu ce courage. Le pardon ne veut
pas dire l’oubli. Ici en particulier, nous avons un devoir de mémoire. Joseph et
Louis, merci pour le don de votre vie, et nous n’oublions pas aussi MM
Stanislas Le Louer et Xavier Brianceau, ainsi que Mme Augustine Guegant…
Dans la mesure où nous n’oublions pas, votre mort n’est pas vaine… « Le bon
Dieu est trop bon, le ciel est trop beau, la vie est trop courte pour se contenter
de médiocrité… » Écrivait le Père Joseph Le Barh, le premier recteur de la
paroisse de Ste Anne…
P. Gwenaël Maurey